Audiolib, 2019

extrait lu par David Lopez

L’ennui, c’est de la gestion. Ça se construit. Ça se stimule. Il faut un certain sens de la mesure. On a trouvé la parade, on s’amuse à se faire chier. On désamorce. Ça nous arrive d’être frustrés, mais l’essentiel pour nous c’est de rester à notre place. Parce que de là où on est on n’en risque pas de tomber.
David Lopez, dont c’est le premier roman, nous raconte ce quotidien sans surprise, croque des personnages réalistes. Une bande à laquelle on s’attache au rythme de leurs moqueries, de leurs réflexions, leurs de cartes, leur deal, les ballades à vélo, la boxe… Le ton du roman est aussi plat (volontairement) qu’est leur vie. Il n’y a rien à faire alors ce serait mensonger de rendre le roman trépidant pour raconter la réalité.
Mais si le rythme est délibérément lancinant, ce n’est pas pour autant un roman sans vie. Au contraire. car dans la monotonie de leur journée, ces « racailles » débordent d’humour, de dérision, de répartie. L’écriture de David Lopez est travaillé. Et comme il l’explique dans l’entretien à la fin de l’Audiolib, il a voulu une langue précise, réfléchie pour rendre compte de la vie de ces jeunes, de leurs difficultés et de leur vie sans avenir. Et il y réussit avec brio puisqu’on se projette sans mal dans cette vie fade. Il a aussi une écriture très visuelle. Une écriture vivante, un phrasé authentique, au langage familier (voire par moment vulgaire). Il ne faudrait pas croire que ces jeunes désœuvrés n’ont rien dans la tête. Ils ont une vraie réflexion, un vrai regard sur leur vie, des réflexions philosophiques improbables.
Ixe se lève et me dit viens Jonas, on fait une pause, on va se fumer ça dehors. Je dis oui. Il a l’air d’avoir envie de se calmer mais aussi de ne pas savoir comment. Je lui suggère la machette mais il me montre ses mains calleuses pour me faire comprendre que l’acharnement sur les végétaux c’est un truc qu’il a déjà tenté. Le jardin a tellement changé. C’est à peine croyable. Comme il était, on aurait dit qu’il ne pouvait pas être autrement. Ça lui allait bien, ça racontait quelque chose de lui. Là, ils l’ont rendu fade, je trouve. Alors que c’est plus propre, et que c’est davantage un jardin. Cultiver son jardin, il est gentil Voltaire, mais il faut d’abord savoir ce qu’on veut y faire pousser. La main humaine elle fait des bouquets, des talus, des haies. Des parcs. Pour construire il faut forcer la nature. La transformer. Alors que la nature, elle, ne produit aucun déchet.
Fief n’est pas une critique de ces jeunes, c’est plutôt un portrait réaliste de société. Un instantané de la réalité. L’oisiveté n’y es tpas forcément volontaire, il n’y a pas de jugement, mais juste un constat d’un avenir incertain.
La voix de l’auteur m’a accompagné tout au long de cette lecture car c’est lui-même qui nous lit son roman. Une façon supplémentaire d’appuyer la musicalité des mots qu’il a choisi d’écrire, d’ajouter une dimension, un réalisme pour appréhender ses personnages.
Je ne vous cacherai pas qu’au début de mon écoute, j’ai été un peu déroutée par le rythme, par la forme du texte. J’ai eu peur de m’ennuyer… et au final, j’ai aimé les différents personnages, j’ai apprécié de partager un peu de leur quotidien. C’est un roman plein de tendresse mais c’est aussi un message d’alerte de l’auteur, un écho d’une génération en perdition.

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