Roman

Si belle, mais si morte de Rosa Mogliasso

Si belle, mais si morte

titre original :Bella era bella, morta era morta
Autrice : Rosa Mogliasso

trad. de l’itatlien par Joseph Incardona
132 p.

Finitude, 2017
 
résumé Un chemin sur la berge d’un fleuve. Ils sont nombreux à l’emprunter chaque matin : une jeune femme y promène son chien, un couple de lycéens s’y cache pour sécher les cours, un clochard y traîne sa folie, un jeune boulanger aime y méditer. Mais ce jour-là, au bord de l’eau, une gemme aux escarpins rouges est allongée. Morte. Tous passeront devant elle, tous la verront, aucun n’interviendra. Personne n’appellera la police, personne n’en parlera. Ils ont tous d’excellentes raisons de l’ignorer et de tenter de se convaincre qu’un autre s’en chargera. Mais il n’est pas si facile de vivre avec cette lâcheté, cette indifférence, cet égoïsme. Chez chacun d’eux, la confrontation avec la belle morte causera un séisme intime. Et leur vie s’en trouvera radicalement changée. Un roman efficace et malin, qui mêle avec naturel réflexion sociologique et comédie à l’italienne.

Elle était aussi belle qu’elle était morte. D’une élégance discrète, jouant sur les tons et les nuances de beige, du genre qui veut plaire mais sans ostentation.

cequejenaipensé Imaginez…
Vous vous baladez au bord d’un canal. Seul(e), avec un ami, promenant votre chien. A quelques pas de vous, une femme est allongée. Elle a des souliers rouges. Elle ne respire pas. Elle est morte. Que faites-vous ?
C’est ce qui arrive aux différents personnages de court roman. Le premier à découvrir le corps est une femme promenant son chien, puis un couple d’ados séchant les cours, il y aura ensuite un SDF et enfin un homme qui venait là faire une séance de méditation en pleine conscience. Chacun a une raison personnelle d’être là. Chacun va avoir une raison de passer son chemin comme s’il n’avait rien vu…
Elle était aussi belle qu’elle était morte. D’une élégance discrète, jouant sur les tons et les nuances de beige, du genre qui veut plaire mais sans ostentation. Seules ses chaussures étaient un tantinet extravagantes: rouges, le talon trop haut, évasées sur le devant. Les orteils dépassaient de la semelle et s’élargissaient en un éventail de viande dont les extrémités vernies étaient du même rouge carmin que ses chaussures.
Maintenant, la question qui se posait était simple: ignorer ce corps, continuer son chemin après avoir rappelé le chien et lire la nouvelle dans les journaux, ou bien appeler le 112 et rester coincée au commissariat une bonne partie de la journée qui, soit dit en passant, avait déjà mal commencé.
On les retrouve plus tard dans la même journée. Chacun vaque à ses occupations, ses problèmes, ses inquiétudes. Mais… ils sont tour à tour préoccupés par le corps de cette femme. Certains plus que d’autres. Ont-ils bien agi? Quelqu’un a-t-il contacté la police ? Leur lâcheté, leur égoïsme vont provoquer des remouds dans leur conscience, une vague de culpabilité. Inconsciemment, ils auront les nerfs à fleur de peau, et leurs réactions vont en être transformées à des degrés différents.
Rosa Mogliasso met en place les personnages petit à petit, à partir d’un lieu fixe. Ils vont y passer tour à tour comme si le lecteur était témoin de la scène. On les voit se croiser, s’éviter. Ils ne se connaissent pas mais vont tous se retrouver au même endroit dans un laps de temps très courts. Puis on quitte cette scène de potentiel crime (puisqu’on ne sait pas ce qui est arrivée à cette femme à part qu’elle est étendue là sans vie…). La « caméra » de l’autrice va suivre chacun des protagonistes, on va apprendre qui ils sont, le pourquoi ils ont adopté ce comportement d’évitement. Et dans un troisième temps, elle s’attarde sur la psychologie de chacun en adoptant à la fois un point de vue sociologique et humoristique. J’ai vraiment apprécié la plume efficace de l’autrice qui adopte un plan scénaristique intelligent et efficace, qui l’air de rien amène les lecteurs à se questionner sur sa propre réaction dans un tel cas.
Sa mère l’avait avertie, pourtant : on ne choisit pas un homme par amour. « Ne mise surtout pas sur l’amour, ma fille, jamais, parce que l’amour prend fin tôt ou tard, et rien n’est plus mort qu’un amour mort. Un amour mort est une carcasse avec laquelle tu devras vivre au quotidien, jour après jour, partager sa chambre et son lit, respirer son odeur de putréfaction comme celle d’une encombrante dépouille.
Son roman a fait écho à un autre que j’ai lu il y a une dizaine d’année Est-ce ainsi que les femmes meurent ? de Didier Decoin roman qui s’appuyait sur un terrible fait divers : en 1964, Catherine Kitty Genovese meurt poignardée devant chez elle. Son martyre (elle a été agressée, violée avant d’être poignardée) a duré plus d’une demie-heure. Trente-huit personnes ont vu ou entendus son agonie mais personne n’a prévenu les secours, personne n’est intervenu. De point de vue sociologique, il a été observé que plus de personnes assistés a un crime, moins les secours étaient prévenus car les témoins se disent que « quelqu’un va bien appelé » (les réflexes d’assistance sont inhibés par la présence d’autres personnes). C’est ce qu’on appelle « l’effet du témoin » ou le « syndrome Genovese ». Et c’est ce même fait divers dramatique qui a nourri l’imagination de Rosa Mogliasso comme nous l’indique les dernières pages de l’ouvrage.

12992811_10209213650040435_505270499_nUn roman court, efficace et intelligent, offrant une réflexion sociologique et comportementale…

Lu dans le cadre du challenge Un mot des titres

Un petit mot ?