La Dernière Allumette
Autrice : Marie Vareille
Lu par Caroline Tillette et Renaud Bertin
7h45
Audiolib, 2024
Ed. Charleston, 2024
EN SÉLECTION POUR LE PRIX AUDIOLIB 2024

Depuis plus de vingt ans, Abigaëlle vit recluse dans un couvent en Bourgogne. Sa vie d’avant ? Elle l’a en grande partie oubliée. Elle est même incapable de se rappeler l’événement qui a fait basculer sa destinée et l’a poussée à se retirer du monde.
De loin, elle observe la vie parisienne de Gabriel, son grand frère, dont la brillante carrière d’artiste et l’imaginaire rempli de poésie sont encensés par la critique. Mais le jour où il rencontre la lumineuse Zoé et tombe sous son charme,
Abigaëlle ne peut s’empêcher de trembler, car elle seule connaît vraiment son frère…
Que ça va être difficile de parler de ce roman sans trop en dire… car il vous faudra garder le doute en vous tout au long de votre lecture ou audiolecture.
Personnellement, j’ai écouté ce roman, sans lire la quatrième de couverture et donc sans en connaître la thématique.
Le ton est donné dès les premiers mots : le roman s’ouvre et se termine par un enterrement. L’ambiance est posée… Mais que va-t-il se passer entre les deux ? Nous allons suivre plusieurs personnages, le tout piloté par la narration d’Abigaëlle. Certaines parties seront les retranscriptions de ses carnets intimes quand elle était enfant, dans les années 1990 et d’autres se déroulent de nos jours. Aujourd’hui, Abigaëlle nous raconte qu’elle vit recluse dans un couvent en Bourgogne où elle a fait vœux de silence. Mais cela ne l’empêchera pas de nous raconter les faits avec beaucoup de précisions et d’exactitude. Elle-même ne sait plus comment ou qui lui a raconté tous les détails mais l’essentiel est là.
Par sa voix, nous allons faire la connaissance de son frère Gabriel et d’une jeune femme Zoé Boisjoli. Cette dernière est fan des livres écrits par Gabriel. Elle va faire sa connaissance lors d’un événement littéraire et ils tomberont amoureux l’un de l’autre. Alors que Gabriel tenait à sa liberté et s’était fait la promesse de ne pas fonder une famille… les choses n’évolueront pourtant pas dans ce sens. Et grâce à Abigaëlle nous comprendront pourquoi il s’était promis.
Par ses mots, on découvre qu’ils ont tous les deux vécus leur jeunesse dans la peur d’un père violent. Très tôt, Gabriel s’est positionné en protecteur et dès qu’il sentait la tempête éclatée, il isolait sa sœur pour qu’elle ne se rende compte de rien. Mais la petite fille est sensible et à un QI très élevé. Même si elle n’a pas encore tous les mots pour comprendre ce qu’il se passe, elle sait instinctivement qu’il y a quelque chose à dissimuler, à cacher aux personnes extérieures au foyer.
On découvre impuissant, révolté, ce que les deux enfants et la mère ont du subir. Marie Vareille, l’autrice, met en place les éléments subtilement afin qu’on prenne conscience de l’emprise de la personne violente sur les victime, de l’emprise de la peur sur les mécanismes de défense. Et surtout, on en voit les répercussions sur leur vie des années plus tard.
Pour écrire ce roman, l’autrice s’est beaucoup documenté sur la violence conjugale et la violence sur mineur. Pour comprendre la psychologie en jeu chez le bourreau, chez les victimes. Une statistique qui fait froid dans le dos lui a insufflée l’énergie de cette histoire : 3 enfants sur 4 ayant vécu des violences deviendront violent ou seront de nouveaux victimes des schémas connus enfant. Elle a voulu creuser le thème. Comprendre les victimes, les étapes de cette violence, donner la parole à ceux qui souffrent et qui ont souffert. Et elle a choisi pour cela une narration autour de l’ambivalence, du doute. La voix de cette petite fille devenue adulte mais qui doute de ce qu’elle raconte régulièrement. Qu’est-ce qui est issue de sa folie, de son isolement, de son imagination ? Elle le répète régulièrement.
On découvre Zoé, Gabriel et les autres personnages autour d’eux. Plusieurs années de vie avec toujours cette violence qui plane, qui frappe.
Une autre partie très importante de la construction de ce récit est constitué par les différentes séances chez le psychiatre, le Dr Hassan. Des séances où une femme va peu à peu prendre conscience de ce qu’elle vit avec son mari, sous le regard et l’écoute bienveillante et empathique du médecin. Ces passages sont forts et très symboliques de la prise de conscience de l’emprise que le bourreau a sur ses victimes. La patience, les questions choisis du psychiatre deviennent alors un outil essentiel de la prise de conscience. Le Dr Hassan, qui est alors loin de son domaine de compétence habituelle, prendra très à cœur le cas de cette patiente qu’il ne veut pas brusquer malgré le danger.
Dans la version audiolib, ce sont les voix de Caroline Tillette et Renaud Bertin qui ont la lourde charge de donner vie aux personnages. Renaud Bertin prend en charge les parties chez le psychiatre où il adopte un ton doux, attentionné, tout en délicatesse. L’impression que le personnage joue un rôle d’équilibriste dans ses questions, dans ses attentions envers sa patiente est ici parfaitement rendue.
Carloline Tillette a la délicate tâche de faire évoluer la voix de son personnage. En effet, la narratrice Abigaëlle nous raconte cette histoire à plusieurs moment de sa vie : dans son enfance dans les années 90 où elle avait alors entre 6 et 12 ans (l’autrice a elle-aussi fait évoluer son langage et les réflexions de la jeune fille) puis des années plus tard, au moment où se passe l’action du livre. Les intentions et intonations de l’actrice sont justes et pertinentes.
J’ai passé un très bon moment à l’écoute de ce roman. J’ai réagi vivement plus d’une fois! Cris de surprise, d’effroi, d’empathie… la gorge qui sert ou le sourire aux lèvres… Les émotions que nous fait vivre ce roman sont multiples et je ne m’attendais pas du tout à ce vers quoi l’autrice m’a emmenée : bravo !!
Un livre qui nous questionne sur nos apriori, sur nos croyances. Un roman qui parle d’un thème complexe et urgent : la violence intrafamiliale. Puissant, troublant, émouvant.

