Roman/SF / Fantastique

Le Dernier Combat de Loretta Thurwar de Nana Kwame Adjei-Brenyah

Le Dernier Combat de Loretta Thurwar

Titre original : Chain-Gang All-Stars

Auteur : Nana Kwame Adjei-Brenyah

trad. de l’américain par Héloïse Esquié

464 p.
Albin Michel, 2025 (Terres d’Amérique)

résumé À la croisée des univers de Colson Whitehead, George Saunders ou encore Carmen Maria Machado, ce roman imagine un monde où des condamnés peuvent purger leur peine à condition qu’ils participent à un programme nommé «Divertissement pénal d’action criminelle» (DPAC). Téléréalité d’un nouveau genre, celui-ci met en scène des combats de gladiateurs version 2.0, où les participants se livrent une lutte à mort sous les yeux d’une foule en liesse et de millions de streameurs.

Si, au bout de trois ans, l’un d’entre eux est encore en vie, il est libéré. Superstar du circuit et combattante la plus capée, Loretta Thurwar est en passe de réaliser l’exploit. À l’aide de son légendaire marteau, elle enchaîne les victoires et s’approche chaque jour un peu plus du but ultime. Dans cette dernière ligne droite, elle peut compter sur le soutien d’Hamara Stacker, sa coéquipière et compagne. Mais pour ce faire, elle devra d’abord déjouer les embûches que lui tendent les producteurs du DPAC, prêts à tout pour accroître leurs profits.

 cequejenaipensé Oubliez ce que vous pensez savoir sur la dystopie. Avec Le dernier combat de Loretta Thurwar, Nana Kwame Adjei-Brenyah ne nous emmène pas dans un futur lointain et improbable. Il nous place face à un miroir déformant, où les contours de la société américaine actuelle deviennent brutalement clairs et troublants. Ce roman, c’est une charge littéraire, un cri de protestation, et une lecture à couper le souffle.

Imaginez une téléréalité où des condamnés à mort, principalement afro-américains, sont mis en scène dans des combats de gladiateurs 2.0. C’est le Divertissement Pénal d’Action Criminelle (DPAC), le nouveau spectacle de l’Amérique, une arène où le divertissement se nourrit de la déshumanisation. Le concept est simple, barbare, mais efficace : si un prisonnier survit à trois ans de ce bain de sang télévisé, il est libéré.
C’est dans cet enfer moderne que nous découvrons Loretta Thurwar, une combattante légendaire, une superstar qui ne se bat pas seulement pour sa vie, mais aussi pour son humanité. Armée de son marteau, elle est sur le point de réussir l’impossible : elle n’a plus que trois matchs à gagner pour être libre. Mais les producteurs du DPAC, avides de profits, n’ont pas l’intention de la laisser s’en aller si facilement.
Si le résumé peut faire penser à d’autres œuvres comme Hunger Games, Nana Kwame Adjei-Brenyah dépasse le simple exercice de style. Il construit un univers foisonnant de détails, d’une inventivité telle que l’invraisemblable devient plausible. L’auteur nous immerge dans cette dystopie en multipliant les points de vue : celui de Loretta, de sa coéquipière et compagne Staxxx, des producteurs de l’émission, et même des téléspectateurs.
Cette approche donne au récit une énergie singulière, un tourbillon qui peut sembler chaotique au premier abord, mais qui sert une intention bien précise. L’auteur nous met face à un dilemme moral, une dissonance cognitive constante. On est à la fois dégoûté par la brutalité des combats et fasciné par leur mise en scène. On se sent à la fois spectateur et complice, incapable de détourner les yeux.
Au-delà de l’action haletante, ce roman est une exploration profonde de la justice, de l’inégalité raciale et de la société du spectacle. Nana Kwame Adjei-Brenyah ne se contente pas de montrer, il dénonce. Il intègre des extraits du Code pénal américain et des statistiques pour ancrer son propos dans une réalité troublante. L’auteur montre la facilité avec laquelle une société peut s’habituer à l’horreur.
Mais au cœur de cette noirceur, l’humanité persiste. L’auteur ne réduit jamais les combattants aux crimes qu’ils ont commis. Il les dépeint avec leurs faiblesses, leurs amours, leurs souvenirs, leurs espoirs.
12992811_10209213650040435_505270499_n Le dernier combat de Loretta Thurwar est un roman puissant, intelligent, qui nous pousse à nous interroger sur notre propre complicité. Un livre qu’on ne lit pas, mais qu’on vit. Et dont on sort bousculé, mais plus lucide.

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