Roman

La Maison des égarées de Julie Kibler

couv1131080La Maison des égarées

titre original : Home for erring and outcast girls

Autrice : Julie Kibler

trad. de l’anglais (États-Unis) par Laura Bourgeois

505 p.

Belfond, 2021 (Le Cercle)

résumé
Texas, 1904. Comme toutes les pensionnaires du foyer Berachah, Lizzie et Mattie ont traversé bien des épreuves. La première, prostituée malade, mère d’une petite fille, n’a connu que la misère, tandis que la seconde a tout perdu en tombant enceinte hors mariage. Et si ce lieu pas comme les autres leur offrait enfin une seconde chance ?Un siècle plus tard, Cate, bibliothécaire, se prend de passion pour ces destins poignants qui font écho à sa propre histoire. Lizzie et Mattie lui transmettront-elles la force de se libérer de son passé

çacommencepar Même lorsque les rêves de grandeur de Mattie la perturbaient, Lizzie lui enviait ce feu qui l’animait. Elle-même venait d’un monde de cauchemar, elle était trop rongée par la peur pour rêver.
cequejenaipensé Trois portraits de femmes « déchues », violentées, au passé lourd, fortes, courageuses, qui se reconstruisent. Deux époques, aujourd’hui et au début du XXème siècle, mais un même combat.
Pouvait-elle faire confiance à ce qu’elle lisait ? Personne ne faisait rien par simple bonté de cœur, sans y trouver son compte. Dans ce monde, rien n’était gratuit. Ce n’aurait pas été la première fois qu’elle se faisait avoir par de belles paroles, qu’elle se laissait convaincre par quelqu’un qui voulait « l’aider », avec des résultats désastreux à la clé.
Nous sommes en 2017 et nous faisons la connaissance de Cate, bibliothécaire reconvertie aux archives. Passionnée d’histoire, solitaire. Son travail est son exutoire, la bulle dans lequel elle se rassure. On découvre une femme apeurée, fragile dans sa vie privée et qui est tout à fait différente quand cela concerne son métier. Dans ces archives, elle a découvert des cartons remplis de témoignages, de photographies, d’articles concernant un foyer ayant existé sur les terres d’Arlington au Texas, à quelques pas de là où elle vit et travaille. Ce foyer recueillait les femmes seules, violentées, déshonorées, prostituées, droguées, parfois avec leur enfant (et dans ce dernier cas, elles s’engageaient à rester au moins un an au foyer avec leur enfant, inhabituel pour l’époque). On les aidait à panser les blessures, à se reconstruire, à trouver leur voie, ce qui pour la plupart n’était pas facile à la vue de leur lourd passif. Cate est profondément touchée par ces récits de vie dont le seul témoignage aujourd’hui sont ces archives et le cimetière de ce foyer qui existe encore de nos jours et où Cate aime s’y recueillir.
Un siècle plus tôt, nous faisons la connaissance de Lizzie Bates et Mattie Coreder deux des femmes ayant été recueilli dans le foyer de Berachah. Entre elles, va se tisser une amitié unique, solide. On découvrira petit à petit les drames et les injustices qui les ont conduite jusqu’ici, et le long combat qui commencent pour elles, pour avoir droit à une vie décente, qu’elles méritent.
Tout le monde mérite d’être sauvé, mais tout le monde ne peut pas l’être.
Leurs parcours entre en résonance avec celui de Cate qui mettra du temps à se dévoiler sous nos yeux. Les points communs, à un siècle d’intervalle, montrent que la société patriarcale et bien pensante dans laquelle nous vivons a si peu changée, même si la parole des femmes se libèrent, même si on les voit désormais plus souvent comme des victimes que comme des instigatrices, des tentatrices, des délurées, des coupables (et il y a encore beaucoup à faire sur ce sujet). Le sort des femmes au début du siècle dernier était terrible, soumis au bon vouloir des hommes et de la pensée religieuse. Ce foyer, ayant réellement existé et dont certains de ses occupants ont nourri l’imaginaire créatif de Julie Kibler, faisait figure d’exception dans la réhabilitation de ses femmes. Les responsables leur donnaient une nouvelle chance dans la vie, les accueillaient et les écouter avec bien plus de bienveillance que la société d’alors. Plus qu’un abri, certaines de ses femmes y trouvaient un foyer, une famille.
La Maison des égarées est un roman polyphonique puissant, mêlant histoire récente et contemporanéité, tout en nous faisant entrer dans l’intimité de ses héroïnes. J’ai ressenti un lien se créer entre moi et Cate, sa fragilité, ses angoisses m’ont émue. J’ai ressenti son désarroi, son anxiété avant qu’elle mette des mots sur ses ressentis. La complicité de Lizzie et Mattie est aussi un élément fort et clé qui porte ce récit.

Les situations qui nécessitent même une infime part d’intimité font basculer l’équilibre fragile que j’ai travaillé si dur pour construire. C’est comme ça. Je l’ai accepté depuis longtemps. Et en dépit des certitudes de ma psy, le rappel manifeste se fait douloureusement sentir quand je tente de m’écarter du superficiel.
Je suis une adulte. Une professionnelle. Je gère ma vie avec brio.
Mais je suis brisée à l’intérieur. Les gens le sentent, et ils s’éloignent.
Quant à moi ? Je cours.

Cate est la voix de ces femmes qu’on voulait oublier, cacher. Elle ravive par ses recherches, par ses mots leurs souvenirs. Leurs histoires se mêlent à celle de Cate qui elle aussi veut oublier des choses, un passé qui ne se cicatrise pas dans son âme, qui l’a fait encore souffrir.
J’ai beaucoup aimé la construction du roman entre passé et présent et la plume de l’autrice qui évoque avec sensibilité et réalisme l’histoire des ces trois femmes. Je trouve qu’elle rend un bel hommage aux femmes qui lui ont inspiré sa fiction, dont elle a repris certaines identités et anecdotes, tout en brodant, imaginant le reste de leur vie, de leur avenir.

en bref Trois portraits, deux époques, une façon d’évoquer cent ans de l’histoire des femmes dans une société d’hommes. Un roman émouvant. Magnifique.

2 réflexions sur “La Maison des égarées de Julie Kibler

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