Betty
Autrice : Tiffany McDaniel
trad. de l’américain par François Happe
Lu par Audrey d’Hulstère
16h56
Editions Gallmeister, 2020
“Ce livre est à la fois une danse, un chant et un éclat de lune, mais par-dessus tout, l’histoire qu’il raconte est, et restera à jamais, celle de la Petite Indienne.” La Petite Indienne, c’est Betty. Née en 1954 dans une baignoire, Betty Carpenter est la sixième de huit enfants. Sa famille vit en marge de la bonne société car, si sa mère est blanche, son père est cherokee. Lorsque les Carpenter s’installent dans la petite ville de Breathed, après des années d’errance, le paysage luxuriant de l’Ohio semble leur apporter la paix. Avec ses frères et soeurs, Betty grandit bercée par la magie immémoriale des histoires de son père. Mais les plus noirs secrets de la famille se dévoilent peu à peu. Pour affronter le monde des adultes, Betty puise son courage dans l’écriture : elle confie alors sa douleur à des pages qu’elle enfouit sous terre au fil des années. Pour qu’un jour, toutes ces histoires n’en forment plus qu’une, qu’elle pourra enfin révéler au grand jour.
Betty raconte les mystères de l’enfance et la perte de l’innocence. À travers la voix de sa jeune narratrice, Tiffany McDaniel chante le pouvoir réparateur des mots et donne naissance à une héroïne universelle.

«Ma mère, Betty, est née le 12 février 1954, fille d’une femme aussi saisissante qu’un rêve et d’un père cherokee qui fabriquait son alcool de contrebande et créait ses propres mythes»
À ce moment-là, j’ai compris que les pantalons et les jupes, tout comme les sexes, n’étaient pas considérés comme égaux dans notre société. Porter un pantalon, c’était être habillé pour exercer le pouvoir. Porter une jupe, c’était être habillée pour faire la vaisselle.
Le roman porte la notion de famille, d’héritage culturel. Il parle aussi de l’enfance et de son insouciance. Mais, comme je vous le disais plutôt, cet équilibre est mis à mal par l’époque. Betty et sa famille sont malmenés par les préjugés et la méchanceté de l’époque, le racisme aussi. Alors que Betty construit son identité elle est prise entre deux feux : les secrets de famille et cette haine raciale.
— Écoutez bien tous, nous a-t-elle dit en se plaçant devant nous.
Son appareil grinçait tandis qu’elle [l’enseignante] installait les Pèlerins d’un côté de la scène et tous les Indiens de l’autre. Ruthis a ricané avec ses amis les Pèlerins en me voyant avec les enfants aux cheveux bruns. Mme Needle est venue me mettre une coiffe de plumes sur la tête.
— Mes ancêtres étaient cherokees, lui ai-je dit.
— C’est très bien, ma chérie.
Elle a appuyé le doigt sur ses lèvres tandis qu’elle examinait la position des plumes.
— Les Cherokees ne portent pas de coiffes, ai-je précisé.
— Ouais, eh ben tous les Indiens en portent, a lancé Ruthis depuis l’autre extrémité de la scène.
— Je crois bien que c’est vrai, ma petite.
Mme Needle a tendu une hachette en carton au garçon près de moi, et elle lui a dit de se mettre près du tipi.
— Non, on n’en porte pas, ai-je insisté. Et on n’a jamais vécu dans des tipis non plus.
Du bout du pied, j’ai touché la toile du tipi.
— Je suis presque sûre que c’était le cas de tous les Indiens, ma petite, a répondu Mme Needle. Ils ne connaissaient rien de mieux.
Ce roman est beau, révoltant. Je me suis très vite attachée à Betty et à son histoire familiale. J’ai souri mais j’ai été révolté, souvent, par ce qu’elle vit, subit des autres mais aussi au sein même de sa famille,rongée au fil des ans par de lourds secrets.
Tiffany McDaniel arrive dans son récit à faire ressentir tellement d’émotions intenses pour la plupart. Il y a une vraie ambivalence de sentiments dans son récit : entre haine et amour, douceur et rancœur, calme et violence, amour et dégoût, sérénité et colère. Cette famille que je décrivais comme complice il y a quelques lignes n’est pas que ça ou plutôt pas tout à fait ça. Si on a l’impression d’une belle complicité dans les premiers temps, plus le roman avance plus les liens de cette famille sont décortiquées et on en saisit la complexité, la fragilité des relations chez certains d’entre eux (que ce n’est pas facile de mettre des mots sur ces relations sans trop en dévoiler!).
Betty est un personnage tellement attachant. On ressent tellement de chose à ses côtés, à la voir grandir, s’épanouir, affronter la vie tout en gardant la tête haute et on comprend l’importance du père dans sa construction et sa force de caractère. J’ai aimé assister à leurs moments de complicité, de partage, de transmission. C’est elle qu’il a choisi pour transmettre son patrimoine culturel, son amour pour la nature, sa poésie.
La nature nous parle. Nous devons simplement nous souvenir de l’écouter.
Cette ambivalence d’émotions que l’on ressent tout au long de cette lecture est transmise à merveille par la plume de Tiffany McDaniel, une plume qui envoûte, captive, entraîne dans ce récit. En découvrant ce texte à travers la voix d’Audrey d’Hulstère, j’ai ajouté une dimension supplémentaire à l’intention émotive de la narration. L’actrice joue avec sa voix pour s’adapter à l’âge de la jeune fille, pensant de la candeur et de l’innocence des jeunes années à une voix plus mature et lucide sur ce que la jeune fille vit. J’ai vraiment apprécié cette évolution dans le jeu de la voix, parfois subtile selon l’âge du personnage, mais bien réelle.

Pingback: Prix Audiolib 2021 : à vous de voter ! | Les Lectures d'Azilis