Là où vont les belles choses
titre original : All the lost things
Autrice : Michelle Sacks
trad. de l’anglais (Afrique du Sud) par Romain Guillou
267 p.
Belfond, 2021

Ce que Dolly ne dit pas, c’est que cette aventure ressemble plutôt à une fuite. Que sa mère n’est pas partie en week-end. Que son père se conduit de plus en plus bizarrement. Et que Clemesta, si elle lui apporte le réconfort qui lui manque tant, ne peut pas lui répondre.
Les kilomètres défilent, un État succède à l’autre, les belles promesses virent au cauchemar, le destin de Dolly est sur le point de basculer…
J’étais en train de sauver un bébé lion quand Papa m’a prise dans ses bras pour m’emmener. Clemesta et moi étions au beau milieu d’une opération chirurgicale compliquée pour aider un lionceau coincé dans le ventre de sa maman à venir au monde.

Le roman commence comme une aventure, un road trip décidé au dernier moment par le père, partant sur la route avec sa jeune fille de 7 ans. D’ailleurs, c’est elle, Dolly, qui nous raconte ce périple avec ses mots, son regard d’enfant, son innocence.
La vie, c’est comme ça. Parfois, elle t’échappe.
Dolly nous raconte donc que son père a préparé son sac et lui a préparé une surprise. La petite est excité d’avoir son papa que pour elle. C’est trop bien de partir à l’aventure en voiture. La petite est curieuse. Elle observe derrière la vitre les panneaux, les paysages. Elle tente de deviner la destination finale. Et plus les kilomètres défilent plus elle se questionne. Plus les kilomètres défilent, plus elle trouve le temps long. Heureusement, elle a avec elle Clemesta, sa « jumelle », son amie imaginaire avec qui elle discute longuement. Clemesta est un jouet dans lequel la reine cheval s’est réincarné. Toutes les deux essaient de comprendre ce voyage, qu’elle est son but. Et Clemesta, voix de la conscience analytique et septique de la jeune fille, est la première à émettre des doutes sur le comportement du père.
Quand on fait de la route, comme Dolly, l’esprit vagabonde et souvent c’est le moment idéal pour réfléchir. Ici elle revient sur la relation chaotique de ses parents, sur sa vie auprès d’eux, sur les réflexions acides de sa mère sur la société, sur les autres…
Si vous ne connaissez pas Clemesta, il faut que je vous dise que c’est un magnifique cheval alezan, qu’elle a une longue et jolie crinière, une grande et belle queue et des yeux noirs très expressifs qui reflètent toute sa gentillesse et sa sagesse. Clemesta est faite de plastique recouvert de poils de cheval et tout le monde croit que c’est seulement un jouet mais la vérité secrète que je suis la seule à connaître, c’est qu’en fait, c’est une reine cheval très intelligente qui descend du feu, des rois, des fées magiques, de morceaux d’étoile, de poussière de lune et de baisers d’ange. Je le sais parce qu’une nuit sous les couvertures, elle m’a raconté toute son histoire à voix basse. J’étais censée dormir pour que Maman et Papa puissent avoir une de leurs DISCUSSIONS D’ADULTES si bruyantes qui me font un truc bizarre au cœur, mais à la place, Clemesta m’a parlé de sa vie en tant que faux jouet et vraie reine cheval possédant plein de pouvoirs spéciaux.
Par son regard d’enfant, elle nous livre dans un premier temps les scènes qu’elle a vécu et qu’elle a compris. Puis les réflexions de Clemesta et notre propre analyse éveillent les doutes. On lit entre les lignes. Le comportement du père, nerveux, mal à l’aise, n’est pas pour arranger la méfiance qui s’éveille en nous. Ce n’est pas et n’a jamais été un simple road trip entre père et fille. D’ailleurs, y-a-t’il même une vraie destination à ce voyage ? Qu’est-ce qu’il s’est passé? Pourquoi ?
Cela arrive dans un roman qu’on est droit au point de vue de l’enfant, afin de faire avancer l’intrigue, de jouer sur les points de vue. ici, toute la force du récit et de sa construction tient dans le fait que tout le roman soit écrit de cette façon, une écriture qui se cale avec l’ingénuité, la candeur de l’enfance. On dit souvent que les enfants sont des éponges, qu’ils ressentent tout ce qui se passe autour d’eux. Ici c’est bien le cas, même si à 7 ans, elle n’a pas toutes les clés pour traduire, pour assimiler les tensions entre ses parents, leur duplicité.
La découverte de cette écriture maladroite, de cette narratrice est un peu déconcertante au départ. Mais on se prend au jeu, on comprend l’importance de ce choix, de ce regard, de la naïveté dans la retranscription de cette aventure. Michelle Sacks nous offre une nouvelle fois un roman à la fois sombre, tendre et surprenant.
On ne sait jamais de qui on pourrait avoir besoin de se protéger.
