Dans ce monde ou dans l’autre
Autrice : Catherine Locandro
300 p.
Éditions Albin Michel, 2021
« Ce soir, c’est à toi que je pense. Où es-tu ? Comment te sens-tu ? Est-ce que tu as froid ? Est-ce que tu as peur ? EST-CE QUE TU ES VIVANTE ? »
Abigaëlle se réveille la veille de ses 15 ans à l’hôpital, loin des siens, entourée de « Rampants ». À son chevet, un psychologue et des policiers spécialisés dans les dérives sectaires se relaient. L’adolescente tâche de mettre en mots ce qu’elle a vécu pour s’émanciper enfin de l’emprise psychologique de son gourou, faire avancer l’enquête… et répondre à la question qui la taraude : où est passée son amie Appeline ?
Abigaëlle se réveille dans une chambre d’hôpital. Elle est fragile, déboussolée. Tout ce qui faisait son quotidien, ses certitudes s’est effondré.
Abigaëlle est une adolescente et jusqu’à encore quelques jours auparavant elle faisait partie de la Nouvelle Arche, une secte.
Elle a été retrouvée inconsciente dans une pièce isolée où elle était en isolement. A son réveil, elle réalise ce qu’il s’est passé. Elle réalise qu’elle est seule désormais. Elle réalise tout ce qu’elle a pu vivre jusque là. Pour cela elle serait guidée par un psychiatre et une policière. Ils seront patients avec elle, la laissant aller à son rythmer même si beaucoup de choses dépendent de son témoignage. En effet, elle est la seule personne que les policiers ont retrouvé. Tous les autres, adultes et enfants, ont disparus sans laisser la moindre trace.
Entre ce qu’Abi raconte au médecin et à la policière et ce qu’elle écrit dans son cahier, les faits se mettent en place. Petit à petit, on découvre son quotidien en dehors et dans la « nouvelle Arche ». Et au fur et à mesure qu’elle avance dans ce vécu traumatisant, elle réalise, analyse, comprend ce qui était normal, ce qui ne l’était pas. Elle prend conscience de l’emprise. Elle s’inquiète pour ses frères et sœurs disparus. Elle s’inquiète pour sa seule amie à l’extérieur, Appeline dont personne ne veut lui donner des nouvelles. Elle a disparu elle aussi. néo l’a-t-il enlevée ? tuée ?
Créé par Néo, on découvre peu à peu quel était le quotidien et les préceptes à suivre dans cette communauté en marge de la société. Abigaëlle et d’autres adolescents (conçus avant la création de la secte et donc pas complètement « pur ») servaient de faire valoir à l’extérieur pour ne pas attirer les soupçons et les regards sur leur groupe. La lecture et l’apprentissage des écoles étaient considérés comme inutiles et erronés mais Abigaëlle et les autres y allaient pour éviter toutes enquêtes des assistants sociaux. Mais Abi y a pris goût. Surtout à la lecture. Elle est curieuse, a soif d’apprentissage. Et c’est bien ça qui va jouer sur son esprit critique, sur son esprit d’analyse. Alors que la vie au sein même de la communauté est la seule chose qu’elle connait (interdiction des écrans), le peu qu’elle va vivre à l’extérieur va l’amener à remettre en question des choses qu’elle vit à l’intérieur. Et c’est ce qui l’amènera à l’isolement, là où les autorités l’ont trouvé.
Dès les premières pages, on comprend la thématique du roman. J’ai apprécié suivre cette histoire dans le flou d’Abigaëlle. Elle est ensuquée, sous le choc de ce qu’elle a subi. Elle a perdu ses repères, la mémoire des dernières semaines. Quand elle livre dans son cahier ses doutes, son histoire, ses questions, ses réflexions, le lecteur ressent par empathie tout ce panel d’émotions. Il réalise l’emprise, la peur de l’inconnu. Et je trouve que l’autrice, Catherine Locandro, a su amener le thème de l’embrigadement sans porter de jugement. On entendra souvent dans le cas de sectes ou de violences conjugales les questions du type : mais pourquoi il/elle est resté? Il/elle l’a bien cherché en restant non ? … là au contraire, il n’y a pas cette condamnation. On est dans l’envers du décors, en coulisse. On entend les rouages des réflexions d’Abi. Elle essaie de pointer ce qu’il est normal de vivre, ce qui devrait l’être. Mais ce n’est pas évident quand on n’a pas les fondamentaux, quand on a connu que ça. L’autrice met en avant qu’on ne « guérit » pas sur un claquement de doigt, que ces emprises ont des séquelles sur du long terme, que certaines habitudes sont trop ancrées pour être changée, que certains sont brisés à vie…
