La Daronne
Autrice : Hannelore Cayre
lu par Isabelle de Botton
176 p. / 4h43
Editions Métailié, 2017
Audiolib, 2018

extrait, lu par Isabelle de Botton

Plus d’une fois, j’ai été tentée de découvrir la plume de Hannelore Cayre et le prix Audiolib m’en a enfin donné l’occasion.
Patience est une femme qui a toujours bossé dur pour les autres. Pour le bien être de ses filles et maintenant pour sa mère qui s’éteint petit à petit dans une EPHAD qui lui coûte une fortune. Son métier : traductrice en arabe pour le Ministère de la Justice. Elle passe des heures à traduire des écoutes téléphoniques entre dealers pour la police.
On pouvait même dire sans exagérer que ça débordait de toute ma personne comme un égout après l’orage. Je m’observais en détail. Mes seins, mes cuisses, mes bras … tout était devenu une cause perdue. Mon corps entier appelait au secours. Je devais me rendre à l’évidence : je devenais vieille.
Coincée par les factures, fatiguée par sa vie sans saveur, une idée germe en elle quand elle se rend compte qu’elle connaît la mère d’un de ces dealers sur écoute… Un gros coup de filet doit avoir lieu, la prise de l’année sans doute. Mais Patience en a décidé autrement… et se retrouve en possession de plusieurs kilos de drogue ! A partir de ce moment là, ce n’est plus la même Patience que l’on découvre entre les pages. Elle prend de l’ampleur, s’affirme, tout en donnant le change à son entourage. Entre amateurisme et chance, Patience joue avec les failles du système.
A peine arrivée au Quick, j’ai immédiatement reconnu mes interlocuteurs.
Un plaisir pour les yeux.
Porsche Cayenne aux vitres teintées, encerclée d’emballages de fast-food jetés par terre et garée sur une place handicapée, rap et climatisation à fond, les portières ouvertes – gros porcs avec collier de barbe filasse sans moustache, pantacourt, tongs de piscine, tee-shirt Fly Emirates PSG flattant les bourrelets, et pour la touche accessoire chic de l’été : pochette Vuitton balançant sur gros bide et lunettes Tony Montana réfléchissantes.
La Totale. Le nouvel orientalisme.
Dans ce roman, le lecteur se retrouve donc du côté de cette héroïne hors norme. Pas d’enquête du côté des flics, au contraire. On apprécie le cynisme dont la protagoniste fait preuve, ces remarques incisives sur le système. Le lecteur pourra compatir, partager ou du moins comprendre cette femme. Sa solitude, sa détresse face à la fin de sa mère. Quand l’occasion se présente à elle, elle est à un tournant de sa vie. L’expression « l’occasion fait le laron » prend bien son sens ici.
Hannelore Cayre, avocate pénaliste, connaît bien ce qu’elle romance ici. elle connaît l’envers du décor de la justice. Et tout comme son personnage, elle joue avec les failles existantes, avec cynisme et ironie.
Sinon, j’étais payée au noir par le ministère qui m’employait et ne déclarait aucun impôt. Un vrai karma, décidément. C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là mêmes qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu ni retraite. Franchement, comme incorruptibilité on fait mieux, non ? Enfin, moi qui suis corrompue, je trouve ça carrément flippant.
L’autrice réussit à nous faire aimer un personnage qu’on ne devrait pas… En théorie, elle est passée du mauvais côté de la loi. Mais on ne peut qu’éprouver de l’empathie pour elle. Elle a juste saisi l’occasion pour s’en sortir.
J’ai donc découvert ce roman en version Audiolib, à travers la voix d’Isabelle de Botton qui a réussi à retranscrire l’innocence (je devrais plutôt dire l’inexpérience dans le domaine du trafic), la fatigue de cette femme. La voix accentue sans conteste au charisme de Patience, à son côté désabusée. Le jeu de l’actrice ajoute au réalisme de l’intrigue.
Une lecture plutôt enthousiasmante, surprenante par son décalage avec le genre. Une bonne surprise qui me donne envie de découvrir à l’occasion d’autres titres de l’autrice.
