Manifesto
Auteur : Léonor de Récondo
Lu par Léonor de Récondo et Jacques Chaussepied
suivi d’un entretien avec l’autrice
3h14
Sabine Wespieser, 2019
« Pour mourir libre, il faut vivre libre. » La vie et la mort s’entrelacent au coeur de ce « Manifesto » pour un père bientôt disparu. Proche de son dernier souffle, le corps de Félix repose sur son lit d’hôpital. A son chevet, sa fille Léonor se souvient de leur pas de deux artistique – les traits dessinés par Félix, peintre et sculpteur, venaient épouser les notes de la jeune apprentie violoniste, au milieu de l’atelier.
L’art, la beauté et la quête de lumière pour conjurer les fantômes d’une enfance tôt interrompue. Pendant cette longue veille, l’esprit de Félix s’est échappé vers l’Espagne de ses toutes premières années, avant la guerre civile, avant l’exil. Il y a rejoint l’ombre d’Ernest Hemingway. Aujourd’hui que la différence d’âge est abolie, les deux vieux se racontent les femmes, la guerre, I’oeuvre accomplie, leurs destinées devenues si parallèles par le malheur enduré et la mort omniprésente.
Les deux narrations, celle de Léonor et celle de Félix, transfigurent cette nuit de chagrin en un somptueux éloge de l’amour, de la joie partagée et de la force créatrice comme ultime refuge à la violence du monde.
extrait lu par Léonor de Récondo et Jacques Chaussepied
Je savais à la mort de mon père, qu’un texte surviendrait, lui rendant hommage. Je savais aussi qu’il fallait que je parle de lui et des deuils qu’il avait traversés sans savoir comment faire. J’ai mis du temps à trouver la forme, je me suis fracassé de longs mois contre les murs de cette chambre d’hôpital à force d’essayer de commencer, et de ne pas y arriver. Et puis m’est apparue cette alternance, Ernest Hemingway, et cette conversation entre mon père et lui. Quand elle s’est imposée, elle m’a ouvert le champ du possible, parce que rentrait dans ce récit le romanesque, le souffle de la littérature.
Ma bouche contre ton oreille, je te dis des mots qui ne s’écrivent pas. Des mots qui exigent la voix. Des mots de toi à moi, les derniers prononcés qui traversent ta peau devenue froide, qui parcourent tes oreilles, ton cerveau, tes veines et tout ton squelette pour rejoindre ton souffle, si ténu soit-il. Des mots d’amour, de gratitude, alors que déjà se profile l’incertitude de ne pouvoir jamais vivre sans toi.