Ici n’est plus ici
titre original : There there
Auteur : Tommy Orange
trad. de l’américain par Stéphane Roques
Lu par Sylvain Agaësse, Benjamin Jungers et Audrey Sourdive
8h44
Audiolib, 2019
Albin Michel, 2019
Albin Michel, 2019
A Oakland, dans la baie de San Francisco, les Indiens ne vivent pas sur une réserve mais dans un univers façonné par la rue et par la pauvreté, où chacun porte les traces d’une histoire douloureuse. Pourtant, tous les membres de cette communauté disparate tiennent à célébrer la beauté d’une culture que l’Amérique a bien failli engloutir. À l’occasion d’un grand pow-wow, douze personnages, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, vont voir leurs destins se lier. Ensemble, ils vont faire l’expérience de la violence et de la destruction, comme leurs ancêtres tant de fois avant eux.

Tommy Orange, dont c’est le premier roman, signe un roman choral ambitieux et réussi. Il s’attarde sur la communauté indienne américaine, sa situation sociale, économique.
Ne permets jamais à personne de t’expliquer ce que signifie être indien. Nous sommes trop nombreux à avoir donné notre vie pour qu’une petite part d’entre nous soit là, en ce moment, dans cette cuisine. Toi, moi. Chaque élément de notre peuple qui l’a fait est précieux. Tu es indien, parce que tu es indien..
Nous sommes à Oakland et un grand pow-wow se prépare, l’occasion pour cette population de perpétuer des traditions ancestrales, de transmettre aux nouvelles générations la beauté de leur croyance. Mais ce pow-wow va être perturbé. Nous savons dès le début que quelque chose va se passer mais pour atteindre ce dénouement l’auteur va délier le fil de son histoire à travers le parcours de vie de douze personnages, hommes ou femmes, d’âges différents. Ces douze personnages ont des parcours différents mais ont le point commun d’avoir vécu une vie mise à mal par leurs origines. Alcoolisme, pauvreté, maladie, vie familiale chaotique…
Opale est solide comme la pierre, mais il y a de l’eau trouble qui vit en elle et menace par moments de déborder, de la noyer – de monter jusqu’à ses yeux. Parfois elle ne peut plus bouger. Parfois il lui semble impossible de faire quoi que ce soit. Mais ce n’est pas grave car elle est devenue très forte pour se perdre dans ce qu’elle fait. Plus d’une chose à la fois, de préférence. Comme faire sa tournée en écoutant un livre audio ou de la musique. Le secret, c’est de rester occupée, se distraire, puis se distraire de sa distraction. Être doublement détachée. Il suffit de procéder par couches. Il suffit de disparaître dans le bruit et l’action.
Tommy Orange trace un portrait malheureusement réaliste de ce que vivent les autochtones. Ils ne sont plus dans leur réserve mais même en ville et soit disant « intégré » ils font l’expérience de la violence sociale. Ces douze personnages ne se côtoient pas forcément (en tout cas pour la majorité) mais leurs destins vont se retrouver lier par le pow-wow, entre autres. Au fil des portraits, le lecteur pourra découvrir quelles vies se répondent, s’entremêlent.
Ton licenciement était dû à ton alcoolisme, qui était dû à tes problèmes de peau, qui était dus à ton père, qui était dû à l’Histoire.
J’ai beaucoup l’écriture de Tommy Orange : forte, puissante, un cri du cœur sur les conditions de vie de cette population. Il y a aussi de l’humour et de l’ironie dans son récit une façon à lui d’aborder la réalité difficile, de la poésie dans sa façon de parler de ses personnages. Les personnages qu’on découvre petit à petit sont réalistes et on ressent une empathie naître envers eux. Dans la version Audiolib, ces personnages prennent corps grâce aux trio d’acteurs Sylvain Agaësse, Benjamin Jungers et Audrey Sourdive qui ajoutent une dimension émotionnelle aux mots couchés sur le papier. Vu la multiplicité des personnages, j’ai trouvé cela judicieux de proposer aussi un panel de différentes voix pour que l’audio-lecteur se repère plus facilement entre les différents protagonistes.

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