Additionne
Auteur : Alexandre Brasseur
avec Mathieu Souquière
216 p.
Plon, 2022

Une légende familiale, surtout lorsqu’elle remonte aussi loin que celle-ci, tisse un récit aux fils entremêlés. Celui d’Alexandre, dernier du nom à occuper la scène, convoque ainsi à la fois le fantôme de Pierre, ce grand-père disparu juste après sa naissance, et l’ombre de Claude, ce père emporté pendant l’écriture de ce livre. Singulière occasion de mettre à leur place toutes les pièces de ce puzzle familial. L’âge classique de Pierre, accolé aux noms mythique des Prévert, Arletty, Renoir, Jouvet et Carné. L’âge moderne de Claude, virevoltant de Sautet à Yves Robert, en passant par Vidocq et la Boum. Enfin l’heure d’Alexandre, acteur emblématique de cet art si actuel de la série, faisant le grand écart entre le très reconnu Bureau des Légendes et le succès grand public de Demain nous appartient.
À l’écran comme sur les planches, chacun dit ainsi quelque chose de son époque, où chaque génération s’est reconnue dans un Brasseur comme incarnation de ses attentes et de ses projections. Le passé d’une lignée d’acteurs revisité par le présent de celui qui l’incarne aujourd’hui.

Je ne lis que très peu de biographie mais j’ai eu envie d’en savoir plus sur cet artiste que je vois tous les jours (ou presque) sur mon petit écran depuis plusieurs années maintenant dans Demain nous appartient récemment, mais dans bien d’autres productions également.
Quand on parle d’Alexandre Brasseur on pense forcément à son illustre famille. Comment faire autrement ? Ils ont marqué à eux tous plusieurs générations. Odette Joyeux, Pierre Brasseur, Claude Brasseur et maintenant Alexandre Brasseur.
Nous avons eu la chance en France d’avoir des artistes de leur envergure pour enrichir le monde du théâtre et du cinéma.
Jouer la comédie de père en fils ne saurait relever d’une lubie immature, cela ce construit et cela se mérite. La leçon était limpide.
Mais comment vit-on avec des parents si célèbres ? Comment vit-on d’être le « fils de » avant d’être soi-même ? Faire ses preuves ? Être pistonné ? Avoir des facilités d’accès au casting ? Travailler encore plus ?
Dans cette autobiographie, Alexandre revient sur sa jeunesse, sur sa vie avec un père plus présent pour son art que pour sa famille. Mais Alexandre Brasseur comprend. A un regard bienveillant sur ce père qui l’intimidait, sur ce père qu’il admirait. Alors qu’il marche sur les pas de Claude Brasseur, il comprend que lui aussi était un « fils de ». Et que dans ce milieu, il faut travailler encore plus quand c’est le cas. Car on remet facilement en question la légitimité, on compare aussi. De son père, il aura appris le travail acharné, l’implication.
Car la nostalgie n’occulte jamais le présent, n’entrave jamais la vie, qui coule comme une rivière, tantôt sage, tantôt sauvage, toujours vivace.
Alexandre Brasseur partage aussi avec son lecteur l’amour qu’il a pour son métier, sa façon de travailler, les années difficiles à attendre le casting, l’opportunité.
« Additionne ! « , le titre de cette autobiographie, est un conseil qu’il a reçu à ses débuts par Georges Wilson, acteur et metteur en scène. Un conseil qui est devenu un principe dans sa vie professionnelle et personnelle.
Additionner, accumuler, s’imprégner, apprendre de tout, tout le temps, des autres, de soi-même, des événements, de l’imprévu, de ce qui l’est moins. C’est si vrai: ce métier est une addition permanente, jamais achevée. L’art dramatique pensé comme l’addition d’un homme – ou d’une femme, d’un texte, d’une technique. Une addition d’émotions, faite de toutes les séquences d’une vie, d’une maturité en construction.
Les artistes invités à se raconter par les éditeurs sont souvent accompagnés dans l’ombre par des prête-plumes, qui les guident, les aident à structurer leur récit ou qui écrivent à leur place. Généralement, le lecteur sait cela mais il l’occulte en lisant l’ouvrage. Ici, Alexandre Brasseur a souhaité que ce guide soit nommé : Mathieu Souquière, et lui laisse même les premiers mots du livre. Par ce geste, on ressent la générosité de l’acteur mais aussi l’importance et le respect qu’il met dans le travail de chacun. On le verra d’ailleurs par la suite dans ce qu’il partage.
C’est d’ailleurs en cela que le théâtre est fondamental car il permet de tenir sur la durée, en jouant tous les soirs. Même dans une petite salle, même sur un projet qualifié de confidentiel, il entretient le lien avec le public et évite le décrochage fatal qui arrive lorsque l’on ne peut tout simplement plus exercer son métier.
Être le « fils de » avant d’être soi-même. Porté un nom connu peut être un handicap. Alexandre Brasseur partage son amour pour sa famille, pour son art. Son travail pour parvenir à prouver qu’il a sa place aussi. Une autobiographie sincère, où l’acteur-auteur se veut témoin d’une époque, d’une famille. Dans les mots d’Alexandre Brasseur, on ressent l’amour et l’admiration pour sa famille, la passion pour son métier.
Je n’avais en effet aucune raison de chercher, dans une vaine entreprise, à imiter un Brasseur, à jouer au Brasseur. Puisque j’en étais un moi- même…
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