Mon père, ma mère, mes tremblements de terre
Auteur : Julien Dufresne-Lamy
249 p.
Belfond, 2020
Dans cette salle, Charlie, quinze ans, patiente avec sa mère. D’ici cinq heures, son père sortira du bloc. Elle s’appellera Alice. Durant ce temps suspendu, Charlie se souvient des deux dernières années de vie de famille terrassée. Deux années de métamorphose, d’émoi et de rejet, de grands doutes et de petites euphories. Deux années sismiques que Charlie cherche à comprendre à jamais. Sur sa chaise d’hôpital, tandis que les heures s’écoulent, nerveuses, avant l’arrivée d’Alice, Charlie raconte alors la transition de son père, sans rien cacher, ce parcours plus monumental qu’un voyage dans l’espace, depuis le jour de Pâques où d’un chuchotement, son père s’est révélée. Où pour Charlie, la terre s’est mise à trembler.
Mon père est parti sur son brancard.
Il portait une charlotte blanche, des bas de contention en coton élastique et une longue blouse en polyester qui lui démangeait les épaules.
Il m’a fallu un moment avant de pouvoir coucher les mots sur le papier… prendre mon clavier et écrire cette chronique. Julien Dufresne-Lamy m’avait charmée avec son écriture intense dans son roman Les Indifférents, ici il m’a chamboulée, retournée… Il traite d’un sujet difficile, intime de façon intense avec pudeur et sensibilité. Les tremblements de terre du héros se répercutent sur le lecteur au fil des secousses des pages qui se tournent.
Il y a deux sortes de gens affreux dans la vie. Les gens qui ont un avis sur tout. Et les gens qui tendent la main à tous sauf à ceux qui en ont besoin.
Charlie et sa mère viennent de dire au revoir à leur père et mari. Il entre en salle d’opération et Charlie et sa mère vont patienter de longues heures dans la salle d’attente. Ils sont inquiets, tremblants, peut-être un peu impatients. La vie ne sera plus la même après l’opération. Elle avait déjà énormément changé mais là ce sera définitif.
Charlie va revenir sur les deux dernières années qui les ont amené à ce moment précis. Là dans cette salle d’attente. Il y a deux ans son père leur a appris qu’il ne voulait plus être un homme, parce qu’elle était une femme. Les tremblements de terre commencent. Le choc. La colère. l’incompréhension. Les émotions se succèdent pour Charlie. Le besoin de comprendre. Charlie va observer les premiers changements, les premiers signes de la métamorphose, les humeurs de son père et les collecter dans un carnet. Il a besoin de ça pour analyser la situation. Pour l’accepter. Une chose c’est qu’il aime son père.
Avant, je pensais que sous les meubles, on ne cachait que les armes du crime. Les affaires sales. Les bouteilles d’alcool ou les boîtes de capotes. Maintenant, c’est différent. J’ai compris qu’on pouvait même y cacher une vie.
Dans cette salle d’attente, il nous partage ce parcours, les hauts et les bas, les émotions fortes, les questions, les doutes, les certitudes, les sentiments. Il dit tout. C’est beau, c’est juste, c’est fort, c’est émouvant.
Julien Dufresne-Lamy nous livre ici une histoire familiale intense et émouvante, sur l’amour et l’acceptation d’être soi. Les émotions sont là, bien palpables, réalistes, transmises par les mots imprégnées d’authenticité, de réalisme de l’auteur. Ce que j’ai aimé dans ce roman c’est qu’il n’y a pas de jugement par rapport à cette transition mais un regard, celui d’un fils pour son père. En adoptant ce point de vue, l’auteur permet à son personnage de réagir, de passer par tout un tas d’émotion tout en permettant à son lecteur de se demander ce qu’il ressentirait à sa place. Il peut aussi ainsi observer les réactions de l’entourage ainsi que du principal intéressé. Le roman trouble, questionne forcément. Dans cette salle d’attente, le lecteur patiente avec eux, en l’espace de quelques heures, il partagera les tremblements de terre qui ont secoué les deux dernières années de leur vie et il y a comme une attente, une impatience qui s’empare du lecteur. L’envie de rencontrer Alice et de lui souhaiter une belle nouvelle vie.
M’man, tu t’es jamais demandé pourquoi on voit les mêmes trans à la télé ?
Sur la chaise bleue, ma mère pose son portefeuille dans lequel elle triait ses vieux tickets.
– Les mêmes trans ?
– Les trans en difficulté, placardées, abandonnées, agressées, prostituées.
– Elles existent, Charlie. Il faut en parler.
– Et les autres alors ?
– Les autres ?
– Les trans professeurs, les trans dentistes, les trans ouvriers, les trans mariés, les trans père de famille, les trans marraines, les trans en vacances en Papouasie ? Ils et elles sont où dans les fils ? Les trans-tout-le-monde n’existent nulle part. Le monde leur interdit d’exister. Et tu sais pourquoi ?
– Vas-y, dis-moi.
– Parce que ce sont des histoires normales ! Et alors quelle idée ça susciterait ! Quel dangereux exemple pour la société.