Les Femmes qui craignaient les hommes
titre original : Keeper
Autrice : Jessica Moor
trad. de l’anglais (Royaume-Uni) par Alexandre Prouvèze
348 p.
Belfond, 2021

Pourtant, elles vont devoir parler. Si elles ne le font pas, la police classera l’affaire en suicide. Comment ces femmes terrorisées pourront-elles jamais se confier à un homme ? Et comment livrer ce qu’elles savent sans risquer de faire tomber l’une d’entre elles ? Car chacune détient une pièce de ce puzzle macabre, et révéler la clé du secret pourrait mettre à l’épreuve leur solidarité, ce dernier lien qui les protège dans une société qui semble les avoir oubliées…
Que vaut la vie d’une femme ?
Katie se penche par-dessus le bar. Elle hurle sa commande à l’oreille du serveur à l’air las, dont la longue queue-de-cheval paraît aussi coquette et soyeuse que celle d’un petite-fille. Ça fait à peine une heure qu’elle et ses amies sont entrées dans le club ; la ruisselante agression des sens et l’euphorie calculée ont commencé à s’émousser, sans qu’elles soient encore suffisamment ivres pour se calfeutrer dans leur générosité et que l’argent cesse de compter. Quelle plaie de devoir brailler une commande pour sept.

Le corps d’une femme vient d’être retrouvé dans la rivière. Suicide ? meurtre ? C’est à l’inspecteur Whitworth de mener l’enquête. Qui va le mener dans un refuge pour femmes violentées. La victime, Katie, y était devenue conseillère. Mais son identité est floue, elle n’apparaît dans aucun fichier. De plus, la gérante du refuge ne leur fait pas confiance car personne n’a jamais pris en compte les nombreuses menaces dont elle est elle-même victime. Les autres femmes du refuge n’ont pas confiance à la gente masculine mais là elles se rendent bien compte qu’il va leur falloir parler, notamment d’un homme qui épiait le refuge…
Entre méfiance et faux-semblant, l’enquête de Whitworth et de son jeune équipier débutant, Brookes ne semble pas si évidente que ça. Il va leur falloir gagner la confiance de ces femmes. Mais l’autrice ne s’arrête pas à cette enquête. Elle jongle entre moment présent et passé, en alternant des chapitres « maintenant » et « avant ». Cela lui permet de remonter dans le passé difficile de ces femmes, de comprendre leurs réticences.
L’idée que n’importe qui pouvait être identifié et coincé en deux ou trois clics était censée représenter une aubaine pour les policiers. Mais, en réalité, ça lui faisait surtout froid dans le dos.
Cela permet au lecteur d’appréhender la fragilité de ces personnages et des répercussions que cela peut avoir sur la résolution de la mort de leur amie Katie. L’autrice nous permet aussi de remonter dans le passé de la victime : elle aussi a été manipulé, violenté par un homme. Elle nous permet ainsi d’éclairer les zones d’ombre de son histoire mais surtout d’avoir des clés supplémentaires car ce que nous lisons les enquêteurs n’y auront pas accès. Et plus on avance, plus le malaise augmente pour nous. Parmi ces nombreuses intrigues entrecroisées, la partie « histoire de Katie » est celle que j’ai préféré suivre. Cela fait plusieurs romans que je lis dernièrement avec le même thème conducteur, la violence conjugale, l’emprise (La Deuxième Femme de Louise Mey, Jamais tu ne me quitteras de Chevy Stevens) et l’autrice nous propose une autre façon d’aborder ce thème par le biais des différents témoignages des femmes du refuge.
Elle apprend à nommer son démon. À comprendre que, tout comme des villes tombent sans le moindre coup de feu, une femme peut progressivement abdiquer son être.
On ressent toute l’impuissance, la peur et la colère de ces femmes face à l’inaction des autorités (ou du manque de moyen pour agir). On ressent également l’injustice jusque dans la résolution de ce roman. Impact émotionnel garanti !
